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08 novembre 2008

Dissertation de philosophie (6h en Khâgne B/L pour l’ENS)

Sujet : « On est soi de nature, on est autre d’imitation » Diderot



On a coutume de reprocher à celui qui se complait dans l’imitation de ne faire que reproduire ce qui existe déjà. En ce sens, l’imitation correspond à la reproduction artificielle qui vise à s’identifier, à ressembler à un objet qui est l’original. Dans cette perspective l’imitation n’apporte rien de nouveau d’où la formule célèbre : n’imitez pas, innovez. L’imitateur est aussi celui qui joue le rôle d’autrui ; il est celui qui adopte le même comportement, les mêmes manies. Telle est l’imitation du moqueur qui vise à tourner en dérision celui qu’il imite ; telle est également l’imitation de l’admirateur qui érige en modèle la personne imitée. En tous les cas, l’imitation suppose la référence à une altérité, c’est en quoi elle s’oppose à la nature du sujet qui imite. En effet, si le concept de nature renvoie à l’idée d’une essence du sujet, l’imitation en tant qu’elle s’identifie à autrui se démarque de l’identité ontologique du sujet. C’est pourquoi, Diderot affirme qu’on est soi de nature et qu’on est autre d’imitation. Peut-on imiter tout en restant soi-même ? Pourquoi imiter dès lors qu’on s’expose à ne plus être soi-même ?

L’imitation revient à s’identifier à autrui. Elle suppose qu’on mette de côté sa propre identité pour revêtir l’identité d’une altérité. Le contenu de l’imitation se veut donc explicitement différent du sujet qui imite, en ce sens qu’il y a une distinction avouée entre l’imitateur et l’imité. C’est en ce sens que l’acteur imite. Il engage explicitement la distinction de ses actes en tant qu’ils sont la figure de celui qu’il imite. Il s’ensuit que les actions qu’il joue ne lui sont pas imputables mais doivent être attribuées au personnage qu’il joue. L’imitation s’inscrit ainsi dans le rôle d’autrui et non dans le sien propre. Il se dégage de sa nature et revêt la nature d’autrui. Dans son rôle d’imitation, il est donc autre que lui-même.
C’est pourquoi, Platon insiste sur la distinction du poète et du rhapsode dans Ion. Alors que le poète est réellement inspiré des dieux, les rhapsodes ne font qu’imiter les poètes. Le rhapsode ne délivre pas véritablement de message, message qu’il ne comprend pas d’ailleurs. Les rhapsodes s’inscrivent ainsi dans le rôle d’autrui. Leur nature dans ce fond, diffère des poètes qui sont les véritables dépositaires du message des dieux. Ce n’est donc que dans la forme que l’imitation se rapporte à l’objet imité. L’imitation ne prend que l’image et l’apparence de l’imité. C’est pourquoi, il y a supériorité de l’imité sur l’imitateur car celui qui est imité peut être sans être imité tandis que l’imitateur n’existe que pour autant qu’il y a un objet à imiter. Dès lors qu’on s’inscrit dans la logique de l’imitation, on est inféodé à celui qui est imité, à son essence.
L’imitation consiste à reproduire l’image d’autrui. Elle est ainsi de l’ordre de l’artifice. Evoquer un objet d’imitation, c’est signifier son artifice. En imitant, on se définit donc dans la négativité à la fois comme étant la reproduction artificielle de la personne imitée ; mais aussi parce que cette référence à un altérité implique une négation de sa propre nature.


Or l’affirmation de son identité ne saurait se définir dans la négativité. Chez Nietzsche, la volonté de puissance qui correspond à l’affirmation de soi ne saurait être négative. C’est pourquoi, l’instinct se trouve valorisé. L’instinct constitue en effet, un caractère spécifique de soi dans la pensée nietzschéenne. Il fait écho à la nature de soi qui doit être affirmée. Son caractère affirmatif s’oppose à l’incapacité de pouvoir affirmer quelque chose. Si l’imitation suppose une négativité de la nature de soi, l’instinct correspond au miroir positif de la nature de soi. Il ne réfère pas à autrui pour s’affirmer. L’imitation constitue d’une certaine façon un aveu de faiblesse. L’enfant qui imite montre qu’il n’a pas acquis d’identité propre ou tout au moins qu’il ne l’assume pas encore. En ce sens, l’imitation est le signe d’une hétéronomie car elle implique la référence à autrui pour affirmer sa nature d’existant. La nature de soi tient lieu d’authenticité contrairement à l’imitation qui se réfère à autrui.
Quand Rousseau affirme que « l’homme est bon mais la société le corrompt », il ne se réfère pas tant à l’état de nature qu’à la nature de l’homme en tant qu’essence. Le concept de nature implique l’idée d’une essence. C’est pourquoi il est question de la nature d’un problème pour désigner ce qui le constitue. Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau montre que la question de l’inégalité surgit quand un homme chante pour faire valoir sa belle voix auprès des autres. Une telle attitude instaure un rapport d’inégalité avec autrui car par le chant cet homme se présente comme le meilleur. Or le meilleur correspond au modèle et le modèle constitue ce qu’il faut imiter. On retrouve donc dans l’imitation la dimension de l’inégalité ; celui qui imite est en situation d’infériorité par rapport à la personne imitée. Ce qui est engagé, c’est la corruption de la nature de soi dans l’imitation dans la mesure où elle implique la référence à autrui comme modèle à atteindre. C’est de cette situation que naissent la jalousie, la convoitise et la vanité.
L’anecdote du chant chez Rousseau se fait dans le contexte de la séduction. L’imitation vise en fait un autre résultat ; par exemple la séduction. C’est donc un rôle qui est joué. Pour atteindre ce but l’individu revêt l’imitation. La fausseté de l’imitation réside ainsi dans la non-conformité à la nature de soi. Imiter, c’est voiler son visage et prendre un visage qui n’est pas le sien. Le refus de cette fausseté se traduit dans l’équivalence des formules : « Sois naturel » et « Reste toi-même ». Elles induisent qu’on ne peut être soi-même que dans la mesure où on reste naturel. Autrement dit, on est soi-même quand on ne joue pas de rôle c’est-à-dire quand on ne prend pas de masque. Car imiter un autre c’est prendre un masque. Or les masques se changent donc l’imitation signifie la possibilité de la mutation. Imiter d’une certaine façon revient à muter car on change de visage. Par conséquent, l’imitation ne saurait correspondre à une essence qui implique une continuité. On ne peut donc être soi-même par imitation. En changeant de visage, on vise déjà autre chose que soi-même. Seule donc le fait d’être naturel correspondrait au véritable soi-même.

Pourtant, si on chasse le naturel et qu’il revient au galop, ne peut-on pas concevoir une imitation dont on ressortirait l’être lui-même ?

Il se pourrait en effet qu’on ne soit soi-même que pour autant qu’on imite. Un tel état permettrait de rendre compte du caractère d’être sans essence de l’homme. Si l’imitation correspond au revêtement d’un voile alors l’être de l’homme pourrait se révéler en se voilant derrière les imitations. En fait, cela impliquerait l’impossibilité de circonscrire une essence à l’homme. L’imitation serait la figure de l’appropriation du monde. L’homme peut imiter les animaux mais l’inverse est inconcevable. C’est dire que l’imitation peut être conçue comme un mode d’appropriation du monde. Il y a donc une positivité de l’imitation qui permet ainsi d’affirmer son être.
Le désir a également un caractère mimétique. Doit-on conclure que dans le désir on n’est pas soi-même ? La thèse du désir triangulaire met en évidence l’importance d’autrui dans le désir ; c’est-à-dire que l’objet n’est désiré par un sujet que pour autant qu’il est désiré par un autre sujet. Le fait que l’objet soit convoité attise le désir. Dans le fond, plus il est convoité par autrui plus le désir est attisé. En réalité, le mime du désir sert à s’affirmer, à affirmer son moi. Ce qui est alors engagé, c’est l’affirmation de la supériorité de son désir sur autrui même s’il y a imitation dans un premier temps. Le mime du désir d’autrui n’est donc que le moyen de s’affirmer. Mais, en réalité l’imitation en elle-même n’est pas recherchée ; elle ne sert que d’impératif hypothétique pour s’affirmer. Peut-on rechercher l’imitation en se démarquant explicitement d’autrui ?
Pascal dans la préface au Traité sur le vide, met en valeur l’imitation des anciens. Le progrès de la science suppose l’imitation des anciens, la référence à leur autorité. Mais, il ne s’agit pas de l’imitation entendue comme reproduction à l’identique, car une telle imitation condamne la nouveauté et l’affirmation des nouvelles générations. L’imitation réside dans le principe de la recherche de la vérité qui était chère aux anciens. Ce n’est que pour autant qu’on se réfère à autrui en l’occurrence les anciens, qu’on peut affirmer une identité. En l’occurrence, pour Pascal il s’agit d’imiter en dépassant les découvertes des anciens. L’imitation qui n’est pas reproduction à l’identique permet donc d’aller au-delà. On est donc pas autre que soi-même, même si on se réfère ici à une altérité : l’autorité des anciens.


Croire être soi-même de nature n’est pas sans impliquer de faire des impulsions ou du conditionnement social ce qui est constitutif de soi-même. L’imitation, mode de rapport à autrui, n’est pas moins ambiguë. Signe d’une soumission symbolique ou d’un manque de créativité, l’imitation est aussi le gage du progrès dans la conservation des principes qui le sous-tendent. C’est dire que si l’imitation se réfère forcément à une altérité, elle n’implique pas qu’on soit un autre.

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