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07 novembre 2008

Dans quelle mesure l’analyse économique dominante permet-elle d’expliquer la situation actuelle sur le marché du travail ?

Après l’ère du plein emploi qu’ont connu les pays industriels pendant les « 30 glorieuses », le monde est plongé dans la dépression économique depuis l’année symbolique de 1973. Cette nouvelle période se caractérise par une dégradation de la situation du marché du travail. La fin du plein emploi et les mutations socio-économiques ont donc fait l’objet de controverses de premier plan dans l’analyse économique. Le début des années 1980 a été marqué par l’échec des politiques de relance de type keynésien. Cet état de fait a donné lieu au renouveau de l’analyse néoclassique symbolisé par notamment par le thatchérisme en Angleterre et le reaganisme aux Etats-Unis. Dès lors que l’analyse néoclassique s’érige en modèle scientifique dominant, quelles explications apporte-t-elle à la situation actuelle du monde du travail ?
Nous allons mettre en évidence la situation du marché du travail dans un premier temps. Nous exposerons ensuite les conditions posées par l’analyse néoclassique pour le plein emploi et nous essaierons de montrer les limites et les critiques qu’on peut faire à cette analyse du marché du travail.

On se propose dans cette partie de rendre compte de la situation actuelle du marché du travail. Pour pouvoir expliquer la situation de l’emploi, il faut impérativement prendre en compte les mutations socio-économiques qu’a connu le monde du travail. En effet, des changements notables ont marqué le monde du travail. Ainsi, la tertiarisation de l’économie en cours dans les années 1960 s’est accentuée. Puis nous montrerons aussi l’ouverture des économies n’est pas sans influence sur le marché du travail. Enfin, la précarisation de l’emploi est une caractéristique nouvelle du monde du travail.
Les mutations socio-économiques ont un impact direct sur le monde du travail. Le marché du travail s’est fortement tertiarisé. Les pays développés ont vu leur emploi tertiaire croître de façon linéaire. Ainsi, en France l’emploi tertiaire s’est accru de 20% entre 1974 et 1986 (graphique 1). Le marché du travail se caractérise ainsi par un déclin de l’emploi industriel qui enregistre une baisse de 20% en France. Au Royaume-Uni, le déclin de l’emploi industriel est encore plus marqué. En moins de 20 ans l’emploi industriel a baissé de près de 30% (graphique 2). Le secteur primaire qui ne représente plus que 5% de la population active, montre que l’agriculture est entrée dans l’ère de l’économie productiviste et intensive. On comprend donc que ce secteur puisse supporter une telle baisse. Le nombre d’employés et de cadres s’est accru. Alors que ces salariés étaient minoritaires pendant les 30 glorieuses, ils sont aujourd’hui de plus en plus sollicités. La baisse du nombre d’ouvriers dans la population active est donc structurelle. On comprend donc qu’il y a une exigence accrue de qualification sur le marché du travail. Ajoutons également l’entrée massive des femmes sur le marché du travail. Celles-ci sont plus touchées par le chômage. Ainsi en 1995, elles sont 14,9% à être au chômage alors que les hommes sont 14,3% à être au chômage (tableau VI). La différence est plus accentuée encore quand on compare les hommes et les femmes de plus de 50 ans ; il y aurait donc une discrimination. En effet, en 1995 39% des ouvrières touchent le SMIC soient plus du double de leurs homologues masculins.
L’internationalisation des échanges et la mondialisation sont des facteurs d’une importance capitale aujourd’hui. Il y aurait ainsi une division internationale du travail qui contribuerait à favoriser le travail qualifié dans les pays développés. C’est pourquoi, les branches peu qualifiées seraient plus touchées par le chômage. En effet, la délocalisation des entreprises des pays industrialisés semblent confirmer le modèle suivant lequel le travail de conception se réalise dans les pays industrialisés alors que la production dans ses aspects peu qualifiés se fait avec une main d’œuvre moins coûteuse dans le Tiers-monde. Il se construit ainsi dans les pays développés un idéal d’ouvrier de plus en plus qualifié et de plus en plus polyvalent. La mondialisation a consacré la flexibilité du monde du travail. C’est pourquoi on assiste à une précarisation de l’emploi.
Les jeunes sont représentatifs de cette précarisation. Leur entrée plus tardive dans le monde du travail est doublée du caractère provisoire de l’emploi. Le nombre d’intérimaires en France est passé de 171 000 à 287 000 de 1993 à 1995 (tableau VIII). Les contrats à durée déterminée ont doublé en 10 ans (tableau VIII). Cette situation de précarisation croissante répond à l’exigence des entreprises d’un monde du travail très flexible où elles ne sont pas obligées d’embaucher définitivement. Elles préfèrent ajuster l’emploi à la production (graphique 14). Par les CDD et le travail intérimaire elles évitent les coûts directs de turnover. Elles n’ont pas à payer les licenciements ou la formation des novices même s’il faut reconnaître les coûts spécifiques de l’intérim.

Telle est donc la situation actuelle du marché du travail, monde incertain variant selon les aléas de la conjoncture. Pourquoi la théorie néoclassique avance-t-elle dès lors l’idée qu’il puisse y avoir plein emploi ? Quelles conditions présupposent-elles ?

D’après la théorie néoclassique, l’économie est caractérisée par des acteurs qui sont des homo economicus. Il est donc présupposé que chacun cherche à maximiser son utilité ou son profit. Adam Smith faisait remarquer que c’est la recherche de l’intérêt personnel qui contribuait à l’intérêt général. Il faut donc laisser faire le marché ; l’Etat ne doit surtout pas le perturber. C’est pourquoi nous allons envisager les conditions d’équilibre et les explications de sous-emploi. Les néoclassiques refusent la perturbation du marché ; nous verrons ensuite que la place des investissements est essentielle dans le paradigme néoclassique puis nous verrons qu’accroître l’inflation est inutile d’après les néoclassiques.
L’analyse néoclassique raisonne en termes d’offre et de demande quand il s’agit d’un marché. Or s’il est question de « marché du travail » alors c’est qu’il faut lui appliquer la même logique que sur les autres marchés. Au regard de l’importance des débouchés pour l’emploi, il faut considérer la loi des débouchés de Jean-Baptiste Say d’après lequel l’offre crée sa propre demande. La logique néoclassique se place ainsi du côté de l’offre. C’est elle qu’il faut favoriser. Les entreprises embauchent des travailleurs jusqu’à ce que la productivité du dernier travailleur soit nulle. En effet, l’entreprise n’emploie pas à perte il est donc impératif que les gains soient au moins aussi élevés que les coûts. C’est pourquoi les néoclassiques s’attachent aux coûts du travail. Le marché décide d’un salaire d’équilibre qu’il ne faut pas perturber. Les syndicats réussissent à instaurer un salaire minimum dans les conventions collectives, perturbent le bon fonctionnement du marché. De surcroît, en prélevant des impôts, l’Etat comprime les recettes des entreprises ; c’est là la raison fondamentale de la situation actuelle du marché du travail. Quand le marché n’est pas perturbé, il ne peut y avoir du chômage volontaire. Autrement dit des individus choisissent de ne pas travailler au prix du salaire s’équilibre. Dans le cas contraire le marché du travail est perturbé. Les Etats-unis qui sont plus respectueux de ces principes enregistrent ainsi une croissance importante des effectifs d’employés (graphique 7).
L’analyse néoclassique intègre toutefois les théories du salaire d’efficience et des insiders-outsiders. La théorie du salaire d’efficience reconnaît que des travailleurs sont payés au-delà de leur productivité réel afin de les motiver. En fait le supplément de rémunération vise à accroître la productivité. La théorie des insiders-outsiders montre qu’il existe en réalité deux marchés du travail. Les insiders sont effectivement embauchés et ont un pouvoir de négociation très fort face aux employeurs. Ils font pression pour augmenter leur salaire en période d’expansion et empêchent ainsi que les insiders soient embauchés. En période de récession ils défendent leur salaire élevé. Les outsiders sont donc voués à la précarité. Cette théorie permettrait d’expliquer l’augmentation du travail précaire (graphique 11).
L’analyse néoclassique donne également la priorité aux investissements. Le théorème d’Helmut Schmidt suppose ainsi que les investissements sont générateurs d’emploi. Par conséquent, il faut les encourager par des taux d’intérêt faibles à la fois pour ne pas accroître les coûts d’investissements de capitaux empruntés et pour ne pas les encourager à placer des capitaux. D’une certaine façon, les taux d’intérêt élevés des années 1970 sont convoqués comme étant responsables partiellement de la crise.
Le courant monétariste dont Milton Friedman est le porte-parole, s’est évertué à montrer l’inanité de la politique monétaire. Sa critique porte sur l’inflation qu’il faudrait absolument contrôler. La critique de la courbe de Philipps semble corroborée par la situation des années 1970 où on observe la stagflation pour la première fois. L’inflation est à plus de 24% au Royaume-Uni en 1975 à plus de 20% en Italie à la fin de la décennie 1970, aux Etats-Unis et en France, elle dépasse 13% (tableau XII). Pourtant le chômage est présent. Pour les monétaristes l’inflation est suscitée par un accroissement de la masse monétaire est radicalement inutile. L’individu homo economicus ne subit pas l’illusion monétaire. La théorie quantitative de la monnaie semble donc confirmée. Seul le réel compte. De plus, l’inflation complique les prévisions des entrepreneurs.
Or malgré le recul de l’inflation dans les années 1980, la dépression se poursuit. En 1985, tous les pays du G7 ont une inflation inférieure à 10%. La plupart comme le Canada sont mêmes en dessous de 5% (Tableau XII). C’est dire que l’analyse néoclassique ne saurait expliquer de façon satisfaisante la situation déprimée du marché du travail. C’est pourquoi nous allons mettre en évidence ses limites.

Nous allons donc considérer les limites des explications néoclassiques concernant les coûts du travail, puis l’inflation et nous expliquerons l’échec des politiques de relance.
Le discours néoclassique sur les coûts du travail semble indiquer une trop forte emprise syndicale dans les conventions collectives. Or ces dernières années ont été caractérisées par un partage salaire profit en faveur des entreprises (graphique 16). L’évolution du salaire minimum est quasiment nulle en union européenne en écus constants dans les années 1980 (graphique 22). C’est dire combien il faudrait nuancer le discours sur les coûts du travail (dans l’aspect du salaire). Parler de chômage volontaire est également dénué de fondement ; les personnes interrogées affirment vouloir travailler davantage quand elles sont à temps partiel. Au regard de la baisse des prix à la consommation ne doit-on pas reconsidérer la demande effective ?
L’inflation tant décriée par les néoclassiques a retrouvé son niveau des années 1960 (graphique 17). Les taux d’intérêt sont bas pourtant le chômage persiste. Favoriser l’investissement ne revient pas forcément à favoriser l’emploi contrairement au théorème d’Helmut Schmidt. En privilégiant les investissements de productivité au détriment des investissements de capacité, les entreprises n’améliorent pas la situation du marché du travail. Ainsi c’est dans la mesure où les investissements de capacité sont privilégiés que le marché de l’emploi engage davantage de salariés. Si l’investissement dépend de la conjoncture économique, alors il faut prendre en compte la demande effective et à ce moment-là les impôts prélevés dans un premier temps peuvent relancer la consommation et être favorable aux investissements.
Or, force est de constater que les politiques de relance ont échoué dans les années 1980. il faut expliquer cet échec dans le cadre de la mondialisation. Les keynésiens proposent des formes de protectionnisme à l’encontre des pays ne répondent pas aux conditions minimales de conditions de travail et de salaire minimum. Dans de telles conditions, l’équité serait rétablie entre pays respectueux de ces règles et les autres.
Par ailleurs, la situation du marché du travail traduit dans le fond la crise du système fordiste d’après l’école de la régulation. Le capitalisme qui est ponctué de crises connaîtrait également une crise de la régulation monopoliste de l’après-guerre, selon Michel Aglietta. La perspective de Schumpeter correspond à faire remarquer que le capitalisme suit un processus de création destructrice. De ce fait, le progrès technique même s’il génère dans un premier temps des destructions d’emplois, est favorable à l’emploi. Cette analyse nuance profondément l’analyse néoclassique qui se limite à un équilibre stable et sans anomalie quand on respecte le marché.

L’analyse économique dominante propose implicitement le développement de la flexibilité ce qui induit de toutes façons le chômage partiel ou tout au moins la précarité de l’emploi. Fustiger systématiquement les interventions de l’Etat permet à cette analyse d’insinuer que c’est là la raison véritable de la crise de l’emploi. Les analyses comme celles de Schumpeter et d’Aglietta montrent que le marché du travail ne se régule pas systématiquement sans crises. Si la baisse du temps de travail est envisagée elle ne doit pas induire la précarité.

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